mardi 24 novembre 2009

Vivre heureux dans la déficience ou malheureux dans la conscience ?


Récemment, sans trop porter attention au contenu à l’écran de ma télévision, je m’adonnais, l’air hagard, à une activité très prisée du dimanche soir, le pliage des vêtements et autres accessoires. Soudain, mon regard s’arrête net sur une jeune femme qui participe activement à l’émission Le Banquier, animée par Julie Snyder. Jusqu’à maintenant, tout semble parfaitement « normal », bien qu’en réalité, l’invitée si enjouée soit trisomique. À 31 ans comme moi, contre toute attente, elle semble épanouie, heureuse et émerveillée par tous les prix et surprises qui s’offrent à elle. Tel un poisson dans l’eau, on dirait qu’elle se trouve au pays des merveilles où les soucis de l’existence, où les tracas liés à notre apparence, se sont évaporés dans l’air du temps, ce temps qui n’a plus d’importance, car la voilà, cette jeune fille si différente physiquement, mentalement, plongée dans le moment présent pur et simple, celui vers lequel nous aimerions tous tendre, mais en vain. C’est comme si elle défiait le destin en lui disant : « Tu croyais m’avoir, hein ? Hé bien, t’as rien vu mon vieux ! ». Ce petit bout de vie sourit de tout son cœur et ne fait que témoigner de son bonheur sous le regard protecteur et fier de ses parents venus pour l’encourager. N’est-ce pas là, finalement, l’essentiel, le but même de l’existence ? Cesser de chercher à tout comprendre, de se torturer l’esprit parce que les réponses à nos questions se font attendre ? Les larmes aux yeux, les lèvres tremblantes, je trouve subitement la vie injuste; je suis prise de remords. Je pense à ma propre fille déjà si consciente, parfois trop insistante, quand vient le temps de me demander : « Maman, qu’est-ce que j’ai ? »; « Pourquoi je ne suis pas comme les autres ? »; « Est-ce qu’un jour, je vais guérir et être comme mon frère et ma sœur? ». J’aimerais alors pouvoir lui répondre que tout passera quand elle sera grande, que toutes ses souffrances intérieures feront partie du passé le jour de son mariage, que, finalement, à bien y penser, elle n’a rien ! L’autisme n’est qu’un mauvais rêve, un virus qui se soigne, qu’une dure étape à passer avec un peu de repos…
Je lui tends les bras. Retour à la case départ. Dodo, l’enfant do, l’enfant dormira bien vite. Dodo, l’enfant do, l’enfant dormira bientôt. Je la revois, quelques minutes après sa naissance. Calme, endormie, le visage d’un ange est enfoui, enveloppé dans un amour inconditionnel que je découvre à peine. Dort, mon amour. Je ne veux pas que tu souffres. Je voudrais tant que personne ne se moque de ta démarche un peu gauche, de ta maladresse, de tes cheveux en bataille que tu n’aimes pas coiffer, de ta passion sans faille pour les insectes, les araignées, de tes difficultés scolaires déjà bien ancrées. Je ne veux pas te voir souffrir, parce que l’humain peut savoir être si méchant. Tu ne comprendrais pas, toi si douce, attentionnée et dévouée. Comment alors expliquer la différence à un enfant lorsque cela le concerne et qu’il le ressent ? Chut ! Je ne veux plus y penser. Je veux pouvoir oublier l’espace d’un court moment. J’entends les rires de la télé. La jeune fille est toujours là, intègre, authentique, si vulnérable à la fois. Je reviens à la réalité, à cette téléréalité qui est aussi mienne. Je souris à la vie, à l’écran, mais je ne peux empêcher mes larmes de couler comme un torrent.

mercredi 4 novembre 2009

À quand mon tour ?

Depuis le début de la campagne de vaccination, je me sens comme faisant partie d’un troupeau de bétail que l’on envoie à l’abattoir. Ayant trois enfants âgés respectivement de 4 ans, 5 ans ½ et sept ans dont une enfant autiste, travaillant à temps plein comme professeure de français au collégial, je contemple la situation actuelle dans la résignation la plus totale. Non seulement, en tant que professeure côtoyant de nombreux étudiants déjà atteints par la A(H1N1), mais en tant que mère de famille, je me sens impuissante et dans l’impossibilité de trouver une issue réaliste pouvant protéger mes brebis. D’ailleurs, puisque l’on parle d’attroupement, de brebis et de bétail errant, si le vaccin n’est efficace que dix jours après son administration et qu’il faille donner deux doses aux enfants de moins de neuf ans pour que l’immunité soit complète, cela veut donc dire que je devrai me présenter 6 fois, sinon plus, dans le fameux centre de vaccination auquel nous avons été affectés ? Mais, dites-moi, surtout, ce qu’il adviendra de mes enfants si je deviens malade, de même que mon mari parce que nous ne faisons pas partie des personnes prioritaires ? Qui prendra soin d’eux ? Pourquoi ne pas faire vacciner les enfants dans leur école respective, de même que les professeurs ? Et les enfants autistes dans tout cela ? Cela fait dix jours que je tente d’obtenir UNE réponse pour savoir de quelle façon nous pourrons vacciner cette enfant dans le respect et la dignité de sa grande fragilité, c’est-à-dire à la maison, loin d’une foule menaçante et des regards interrogateurs qui en disent long sur l’ignorance de notre société en matière d’autisme. Que ferons-nous lorsqu’elle se débattra comme un animal piégé ? Le CSSS n’a aucune solution à nous offrir, « pas de mot d’ordre venant d’en-haut », la travailleuse sociale de notre fille ne sait que me répondre, la représentante de l’Association des parents d’enfants autistes attend toujours la réponse de l’Agence de la santé et des services sociaux, le Centre de Réadaptation n’a pas le mandat de nous aider… Pour combien de temps encore devrons-nous attendre, car ce temps commence justement à presser sérieusement. Puis-je aussi ajouter que la fumée sort de mes oreilles comme un taureau furieux qui a envie de défoncer la barrière de son enclos et qui, en attendant le moment de grâce, se dit : « à quand mon tour » ?